Pour faire branchés et dynamiques, cadres, commerciaux et marketeurs usent d’un langage empreint d’anglicismes tapants et d’acronymes pompeux, sans savoir qu’ils passent souvent à côté de l’effet initialement recherché.
Comme les cours de récréation, les entreprises tiennent lieu de laboratoire d’expérimentation de la langue française. A l’arrivée, les résultats atteignent rarement un haut degré de créativité. Certains milieux professionnels pensent qu’en injectant dans leur discours des vocables compliqués et vaguement kitch, ils serviront une réthorique « high level ». Se trompent-ils de stratégie ? La branchouille attitude est, par nature, météorique, et donc risquée quand elle s’éternise en se nourissant d’elle-même jusqu’aux confins du ridicule et de l’indigestion. Et dans la relation-client, la clarté est souvent préférable à l’hyperbole.
En entreprise, il n’est pourtant pas besoin d’être bilingue pour faire « mod » : l’usage de quelques mots détournés, de quelques tournures anglicisées ou d’expressions raccourcies permet d’obtenir son diplôme en « prolangue » de premier niveau. Certains clients s’irritent de ce parler suspect et peu naturel, mais s’écrasent comme des mouches. D’autres le disent ouvertement au point de frapper leur locuteur dans son amour propre de jeune cadre dynamique et prompt à saisir au vol ces expressions passées à la moulinette des réseaux sociaux.
Au hit parade de ces formules toutes faites, et venues de nulle part, il y a le « yep » jugé moins désuet que le « yesss ! » ponctué souvent d’un poing fermé à hauteur de poitrine pour bien montrer qu’on est le contraire d’un « looser ». Peu à peu, le « nope » (quatre lettres) fait son apparition, squeezant progressivement le « no » anglais (2 lettres) et reléguant dans l’arrière- boutique des horreurs le « non » (3 dont deux pareils), bien trop « frenchy », sec et malsonnant.
Allons plus loin encore, et évoquons cette « deadline » qui succède au « dernier délai » en lui instillant une tonalité plus dramatique et menaçante. Dans le même moule, le « next step » qui désigne « la prochaine étape » (d’un projet), le « brainstorming » (traduisez, tempête de cerveau) plus hardcore que la traditionnelle réunion à la française. Vous entendrez aussi « prendre le lead » (c’est-à-dire en prendre les rênes d’un dossier ou d’une équipe), « faire un draft » (ou « drafter ») pour établir un plan préliminaire ou un premier brouillon, « faire un feed-back » pour « faire un retour », « shooter un mail », mais aussi l’insupportable « checker » (vérifier ou faire du tri). Sans oublier les désormais cultes et non moins ringards « Asap » (As soon as possible) , « brief », « prog » (programme) « pres’ » (présentation) et, le fin du fin, ce « je reviens vers vous » trop souvent préféré au « je vous recontacte »…